Le 12 janvier 1943, à 0 heure, la patrouille à pied du Lieutenant De NAUROIS quitte BOU-GOBRINE.
La
nuit est étoilée, mais sombre. Il y a là 21 hommes, les meilleurs de
tous les volontaires, armés de 4 fusils-mitrailleurs, de 4 mitraillettes
américaines, perçues quelques heures auparavant, de grenades et de
pétards.
Pendant
la traversée de la plaine, l’ennemi lance de nombreuses fusées. C’est
son habitude, mais n’aurions-nous pas été vendus ? Dieu, que les chiens
aboient, aujourd’hui quand nous entrons dans SIDI-SAAD, guidés par un
indigène qui assure cette dangereuse mission pour la troisième fois,
sous la menace de nos mousquetons.
Une
visite chez Madame BUCH (vieille Alsacienne) qui tient à SIDI-SAAD, un
commerce d’épicerie, où les soldats italiens d’en face, viennent souvent
pour se ravitailler; nous pouvons compter sur son concours.
Le Lieutenant
de NAUROIS, profitant de la nuit, met tout son monde en place ; le
groupe du Maréchal des logis BOUSQUET à la Station, le groupe de
SASSE vers la chapelle, et enfin l’Adjudant NAUDIN et quelques « durs »
dans le jardin de Madame BUCH. L’ensemble du dispositif forme un « V »,
dont l’ouverture est tournée vers l’ennemi et la pointe à l épicerie où
le Lieutenant de NAUROIS et les « durs » doivent cueillir les italiens
pendant leur ravitaillement.
Le Cavalier
AMINALLAH nous amène comme otages, les cinq plus riches propriétaires
du hameau. Il affirme qu’il leur a bien expliqué que si un indigène
quittait le village, ils seraient tous passés par les armes. La
« djellaba » et le « chèche » blanc de l’un d’eux conviennent
parfaitement bien au Lieutenant De NAUROIS qui s’en affuble.
Le
jour commence à poindre ; ainsi déguisé, il peut circuler et aller voir
ses postes sans attirer l’attention. Tout le monde est bien caché ; il
ne reste plus qu’à attendre la venue de ces »messieurs »
Vers
7 heures 30, deux indigènes, à cheval, quittent le village au galop et
montent vers les lignes ennemies : la trahison ? Les otages comprennent
et tremblent…
Et,
en effet, vers huit heures, de la région de la ferme
de SIDI-SAAD commence à apparaître un nombre considérable d’Italiens ;
nous en comptons 24. Ils descendent vers nous et voici qu’ils se
fractionnent en deux groupes et qu’il apparaît clairement qu’ils veulent
encercler SIDI-SAAD.
L’une
des patrouilles déborde largement la Chapelle et progresse sur la route
de SIDI-SAAD –GOBRINE. Aussi, le Lieutenant de NAUROIS est-il obligé de
déplacer le groupe SASSE et de le mettre dans une haie de cactus, face à
l’Ouest.
Maintenant
la patrouille est à bonne portée : une cinquantaine de mètres. Elle n’a
pas dû nous voir. Un tireur italien et son pourvoyeur mettent leur
fusil-mitrailleur en batterie. Il ne faut pas leur en laisser le temps «
vas-y et bien ».
DUVAUCHELLE et LOUBET,
par deux rafales, clouent au sol les deux imprudents, tandis que FLOUS,
NAUDIN et le Lieutenant de NAUROIS et quelques mousquetons arraisonnent
les autres membres de la patrouille. Les mitraillettes américaines font
merveille et il est facile de régler le tir sur de telles cibles,
tellement rapprochées.
Les
Italiens sont cloués au sol : Ils ne bougent plus et l’un deux hurle,
voilà une situation rétablie. Le Lieutenant De NAUROIS, du côté de la
Chapelle, vide un chargeur sur deux retardataires, tandis
que LEROY l’approvisionne en munitions. Ils ne bougent plus. Tout va
bien.
Cependant,
dès le début de l’opération, le Lieutenant De NAUROIS avait lancé le
signal convenu pour appeler les « side-taxis », Bengale et fusées
rouges. Ceux-ci arrivent à une vitesse record et nous aident à prendre
en sandwich la patrouille. Tel est encerclé qui croyait encercler.
Mais la fusillade commence vers la gare ; c’est la deuxième patrouille ennemie dont
quelques téméraires ont réussi à se faufiler le long des cactus, au
bord de la voie ferrée et qui arrivent à bonne
portée. CALMEJANE et MARQUIS, du haut du grenier de la gare, font des
« cartons ». Deux imprudents sont étendus. Les autres pris de panique,
s’enfuient en désordre, poursuivis par le feu des mitrailleuses de 7,5
de DAUMESNIL.
Cependant, NAUDIN est
fou de rage ; il prétend que notre artillerie tire trop court et que
ses coups maintenant, tombent en plein sur nous.
Le
Lieutenant De NAUROIS lui fait remarquer qu’il commet une légère erreur
et que, seulement maintenant, le tir des canons italiens commence à
être réglé (vraisemblablement du canon de « 60 ». les premiers obus sont
tombés en plein milieu de nos ennemis, mais maintenant, ils encadrent
la station fort correctement ; un « side » a été atteint, mais sans aucun dommage, ni pour lui, ni pour son conducteur.
Le Lieutenant
De NAUROIS parcourt le terrain avec NAUDIN et les « Durs ». Ils
capturent trois hommes que nous pensions morts et leurs prennent armes
et munitions. Mais AMINALLAH, pendant ce temps veille, court, et ramène
un quatrième prisonnier. C’est le sous officier chef de la patrouille
qui se faufilait derrière les « raimas » et AMINALLAH le capture juste au moment où il nous mettait en joue. Il parait que
FORTIER-QUENTIN au télémètre, à l’observatoire, à 7 kilomètres de nous,
hurlait : « Attention mon lieutenant, ce salopard va vous tirer
dessus » Un peu comme au cinéma du quartier, quand on passe un film du
Far West.
Nos
abandonnons sur le terrain 8 cadavres ennemis, sans compter les otages
que FASSEL a « administrés » dit-il, en même temps qu’il essayait au
mousqueton d’enlever le casque d’un Italien.
L’interrogatoire
des prisonniers à HADJED et AIOUN, auquel assistait le Lieutenant
de NAUROIS, révèlera que les Italiens ont bien été prévenus par les deux
cavaliers indigènes, mais ceux-ci ont commis une erreur dont nous
leur sommes, après coup reconnaissant : ils ont annoncé cinq ou six
français à SIDI-SAAD. S’ils avaient su la vérité, il est probable que
les Italiens nous auraient envoyé un bataillon. Pauvres otages…
L’après
midi, les Italiens viennent ramasser leurs morts, et ils les lancent,
sans aucun respect, sur un chariot. Le lendemain, deux déserteurs se
présentent à nous, rescapés de la veille, écœurés par le coup de massue
reçu. Ils nous signalent que nous avons eu le grand tord de laisser sur
le terrain, près de la Chapelle, le lieutenant, chef de la brillante
expédition, blessé par un pistolet mitrailleur. Des indigènes l’ont
recueilli et soigné. « Il est capable de guérir, disent-ils »
Ils n’ont pas tiré un seul coup de fusil. « Vous êtes remarquablement bien armés » nous annoncent-ils. Tout est relatif.
Evidemment,
il nous a été impossible de manœuvrer les culasses des mousquetons
récupérés, tant il y avait de la rouille, et les fusils
mitrailleurs BREDA nous ont refusé tout service quand nous les avons
essayés. Pauvres gens… Pauvres soldats…
L’affaire de SIDI-SAAD a porté ses fruits, nos adversaires resteront vraisemblablement terrés dans leurs trous.
Présent à cet évènement, mon père est cité à l'ordre de la brigade avec l'attribution de la Croix de Guerre 1939-1945 et une étoile de bronze.
(Décision
du 15 janvier 1943. Extrait de l'ordre général N°14. Signé Colonel
TOUZET Du VIGIER Commandant le groupement) - ci-annexée sa Croix de
Guerre.
Sources : Le 2ème RCA
au combat 1942-1945 – ouvrage tiré en 1000 exemplaires en souvenir des
combats du régiment. – Imprimé le 11 novembre 1945 sur les presses de P
CHANOVE
Imprimeur à COURBEVOIE pour les éditions J BAZAINE 6 avenue de MADRID à NEUILLY SUR SEINE.
Narrateur inconnu
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Le dessin du départ de la patrouille pour l'embuscade est du brigadier chef Gaston RATABOUL
Première rédaction de cet article le 13 octobre 2012- Actualisation le 22 juillet 2013