samedi 19 octobre 2013

1943 JANVIER. L'embuscade de Sidi Saad.


Le 12 janvier 1943, à 0 heure, la patrouille à pied du Lieutenant De NAUROIS quitte BOU-GOBRINE.
La nuit est étoilée, mais sombre. Il y a là 21 hommes, les meilleurs de tous les volontaires, armés de 4 fusils-mitrailleurs, de 4 mitraillettes américaines, perçues quelques heures auparavant, de grenades et de pétards.

Pendant la traversée de la plaine, l’ennemi lance de nombreuses fusées. C’est son habitude, mais n’aurions-nous pas été vendus ? Dieu, que les chiens aboient, aujourd’hui quand nous entrons dans SIDI-SAAD, guidés par un indigène qui assure cette dangereuse mission pour la troisième fois, sous la menace de nos mousquetons.
Une visite chez Madame BUCH (vieille Alsacienne) qui tient à SIDI-SAAD, un commerce d’épicerie, où les soldats italiens d’en face, viennent souvent pour se ravitailler; nous pouvons compter sur son concours.

Le Lieutenant de NAUROIS, profitant de la nuit, met tout son monde en place ; le groupe du Maréchal des logis BOUSQUET à la Station, le groupe de SASSE vers la chapelle, et enfin l’Adjudant NAUDIN et quelques « durs » dans le jardin de Madame BUCH. L’ensemble du dispositif forme un « V », dont l’ouverture est tournée vers l’ennemi et la pointe à l épicerie où le Lieutenant de NAUROIS et les « durs » doivent cueillir les italiens pendant leur ravitaillement.

Le Cavalier AMINALLAH nous amène comme otages, les cinq plus riches propriétaires du hameau. Il affirme qu’il leur a bien expliqué que si un indigène quittait le village, ils seraient tous passés par les armes. La « djellaba » et le « chèche » blanc de l’un d’eux conviennent parfaitement bien au Lieutenant De NAUROIS qui s’en affuble.

Le jour commence à poindre ; ainsi déguisé, il peut circuler et aller voir ses postes sans attirer l’attention. Tout le monde est bien caché ; il ne reste plus qu’à attendre la venue de ces »messieurs »
Vers 7 heures 30, deux indigènes, à cheval, quittent le village au galop et montent vers les lignes ennemies : la trahison ? Les otages comprennent et tremblent…

Et, en effet, vers huit heures, de la région de la ferme de SIDI-SAAD commence à apparaître un nombre considérable d’Italiens ; nous en comptons 24. Ils descendent vers nous et voici qu’ils se fractionnent en deux groupes et qu’il apparaît clairement qu’ils veulent encercler SIDI-SAAD.

L’une des patrouilles déborde largement la Chapelle et progresse sur la route de SIDI-SAAD –GOBRINE. Aussi, le Lieutenant de NAUROIS est-il obligé de déplacer le groupe SASSE et de le mettre dans une haie de cactus, face à l’Ouest.

Maintenant la patrouille est à bonne portée : une cinquantaine de mètres. Elle n’a pas dû nous voir. Un tireur italien et son pourvoyeur mettent leur fusil-mitrailleur en batterie. Il ne faut pas leur en laisser le temps « vas-y et bien ».

DUVAUCHELLE et LOUBET, par deux rafales, clouent au sol les deux imprudents, tandis que FLOUS, NAUDIN et le Lieutenant de NAUROIS et quelques mousquetons arraisonnent les autres membres de la patrouille. Les mitraillettes américaines font merveille et il est facile de régler le tir sur de telles cibles, tellement rapprochées.

Les Italiens sont cloués au sol : Ils ne bougent plus et l’un deux hurle, voilà une situation rétablie. Le Lieutenant De NAUROIS, du côté de la Chapelle, vide un chargeur sur deux retardataires, tandis que LEROY l’approvisionne en munitions. Ils ne bougent plus. Tout va bien.

Cependant, dès le début de l’opération, le Lieutenant De NAUROIS avait lancé le signal convenu pour appeler les « side-taxis », Bengale et fusées rouges.  Ceux-ci arrivent à une vitesse record et nous aident à prendre en sandwich la patrouille. Tel est encerclé qui croyait encercler.

Mais la fusillade commence vers la gare ; c’est la deuxième patrouille ennemie dont quelques téméraires ont réussi à se faufiler le long des cactus, au bord de la voie ferrée et qui arrivent à bonne portée. CALMEJANE et MARQUIS, du haut du grenier de la gare, font des « cartons ». Deux imprudents sont étendus. Les autres pris de panique, s’enfuient en désordre, poursuivis par le feu des mitrailleuses de 7,5 de DAUMESNIL.  

Cependant, NAUDIN est fou de rage ; il prétend que notre artillerie tire trop court et que ses coups maintenant, tombent en plein sur nous.

Le Lieutenant De NAUROIS lui fait remarquer qu’il commet une légère erreur et que, seulement maintenant, le tir des canons italiens commence à être réglé (vraisemblablement du canon de « 60 ». les premiers obus sont tombés en plein milieu de nos ennemis, mais maintenant, ils encadrent la station fort correctement ; un « side » a été atteint, mais sans aucun dommage, ni pour lui, ni pour son conducteur.

Le Lieutenant De NAUROIS parcourt le terrain avec NAUDIN et les « Durs ». Ils capturent trois hommes que nous pensions morts et leurs prennent armes et munitions. Mais AMINALLAH, pendant ce temps veille, court, et ramène un quatrième prisonnier. C’est le sous officier chef de la patrouille qui se faufilait derrière les « raimas » et AMINALLAH le capture juste au moment où il nous mettait en joue. Il parait que FORTIER-QUENTIN au télémètre, à l’observatoire, à 7 kilomètres de nous, hurlait : «  Attention mon lieutenant, ce salopard va vous tirer dessus » Un peu comme au cinéma du quartier, quand on passe un film du Far West.

Nos abandonnons sur le terrain 8 cadavres ennemis, sans compter les otages que FASSEL a « administrés » dit-il, en même temps qu’il essayait au mousqueton d’enlever le casque d’un Italien.

L’interrogatoire des prisonniers à HADJED et AIOUN, auquel assistait le Lieutenant de NAUROIS, révèlera que les Italiens ont bien été prévenus par les deux cavaliers indigènes, mais ceux-ci ont commis une erreur dont nous leur sommes, après coup reconnaissant : ils ont annoncé cinq ou six français à SIDI-SAAD. S’ils avaient su la vérité, il est probable que les Italiens nous auraient envoyé un bataillon. Pauvres otages…

L’après midi, les Italiens viennent ramasser leurs morts, et ils les lancent, sans aucun respect, sur un chariot. Le lendemain, deux déserteurs se présentent à nous, rescapés de la veille, écœurés par le coup de massue reçu. Ils nous signalent que nous avons eu le grand tord de laisser sur le terrain, près de la Chapelle, le lieutenant, chef de la brillante expédition, blessé par un pistolet mitrailleur. Des indigènes l’ont recueilli et soigné. « Il est capable de guérir, disent-ils »

Ils n’ont pas tiré un seul coup de fusil. « Vous êtes remarquablement bien armés » nous annoncent-ils. Tout est relatif.

Evidemment, il nous a été impossible de manœuvrer les culasses des mousquetons récupérés, tant il y avait de la rouille, et les fusils mitrailleurs BREDA nous ont refusé tout service quand nous les avons essayés. Pauvres gens… Pauvres soldats…

L’affaire de SIDI-SAAD a porté ses fruits, nos adversaires resteront vraisemblablement terrés dans leurs trous.

                                            croix de guerre 
A la suite de ce fait d'armes, le lieutenant Patrice De NAUROIS est cité à l'ordre de l'armée, les gradés, et les hommes de troupes reçoivent la Croix de Guerre.
Présent à cet évènement, mon père est cité à l'ordre de la brigade avec l'attribution de la Croix de Guerre 1939-1945 et une étoile de bronze.
(Décision du 15 janvier 1943. Extrait de l'ordre général N°14. Signé Colonel TOUZET Du VIGIER Commandant le groupement) - ci-annexée sa Croix de Guerre.
Numériser0005 
Sources : Le 2ème RCA au combat 1942-1945 – ouvrage tiré en 1000 exemplaires en souvenir des combats du régiment. – Imprimé le 11 novembre 1945 sur les presses de P CHANOVE 
Imprimeur à COURBEVOIE pour les éditions J BAZAINE 6 avenue de MADRID à NEUILLY SUR SEINE.
Narrateur inconnu
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Le dessin du départ de la patrouille pour l'embuscade est du brigadier chef Gaston RATABOUL
Première rédaction de cet article le 13 octobre 2012- Actualisation le 22 juillet 2013